Jusqu’au 17 novembre 2018, la Galerie Matthew Namour à Montréal présente “Universal Grin”, l’exposition solo de l’artiste de rue légendaire, Ron English. Étant l’un des artistes les plus iconiques de la scène du street art, Ron English est reconnu pour ses oeuvres subversives mélangeant des éléments de la culture pop, des couleurs vives et des commentaires socio-politiques. Ses personnages satiriques originaux sont mis en vedette dans les galeries, dans les musées, à la télévision, dans des livres, dans les rues et sous forme de jouets partout à travers le monde.

Durant son dernier voyage à Montréal pour lancer l’exposition, notre équipe a eu la chance de le rencontrer et de discuter avec lui de son parcours en tant qu’artiste, de son processus créatif et de ses vues politiques.

N’étant pas étranger à la ville de Montréal, l’artiste y a fait de nombreux arrêts au cours des dernières années. Notamment, à l’occasion de l’édition 2017 du Festival MURAL, durant lequel il a décoré la ville d’une géante Mona Lisa. D’ailleurs, c’est une de ses dernières murales toujours visibles dans le monde, nous mentionne-t-il.

Crédit photo : @halopigg

 

Tu as une carrière assez impressionnante, explorant différents médiums comme les panneaux d’affichages, les murs, les toiles et les jouets. On peut maintenant dire que tu fais, en soi, partie de la culture pop. Quel est ton plus grand accomplissement, de quoi es-tu le plus fier dans ta carrière?

Dans les dernières années, j’ai créé plus d’une centaines de personnages originaux et j’ai réalisé qu’il leur manquait quelque chose. Les personnages célèbres comme Mickey Mouse ont une histoire qui les définit. Alors, j’ai enregistré environ 70 chansons dans lesquelles mes personnages racontent qui ils sont et d’où ils viennent. J’ai enregistré 3 CDs qui racontent l’histoire de ce monde fictif.

J’ai été chanceux, parce que j’ai emménagé dans une petite ville, à une heure au Nord de la ville de New York, où de nombreuses personnes talentueuses habitent; comme des musiciens qui ont joué pour Bruce Springsteen, le groupe de Bob Dylan, des chanteurs d’opéra et plus. Le fait est que quand tu travaille dans le groupe de Bruce Springsteen et qu’il fait un spectacle à Broadway pendant un an, tu te retrouves à passer le temps et des projets comme ça sont des passe-temps assez cools. J’ai trouvé un partenaire de composition en Joe Johnson et il a été une personne incroyable avec qui travailler. On a à peu près les mêmes goûts esthétiques. Je ne savais pas que j’avais ça en moi avant de commencer. C’était un projet assez épique que je n’aurais jamais cru que je ferais dans ma vie.

 

Maintenant, j’aimerais ça travailler plus en animation. Comme j’ai des chansons, des personnages et des histoires, j’ai l’impression qu’animer tout ça serait la prochaine étape logique. Je pourrais faire tellement de choses avec ça. C’est un médium assez dispendieux, mais ce serait intéressant d’aller là.

 

Depuis le début de ta carrière, tes oeuvres ont toujours eu une dimension politique controversée. Pourquoi est-ce important pour toi d’intégrer ça dans ton travail?

Je crois qu’être controversé est dans mon ADN tout simplement. Beaucoup de mes premières oeuvres que j’ai créées au secondaire m’avaient déjà attiré des ennuis. Quand tu es controversé, tu dis vraiment ce que tu penses. Ton but n’est pas nécessairement d’être controversé, en particulier quand tu es jeune. Je voulais seulement faire rire, mais je crois qu’ils n’étaient pas prêts pour moi dans ma petite ville du Midwest. Alors, j’ai vite appris ce que ça voulait dire que d’être controversé et de s’attirer des ennuis.

 

J’ai travaillé dans le monde publicitaire et il y avait ce concept qu’on appelle le Q factor qui détermine la popularité d’une personne. Pensons à Tom Hanks; il a un haut Q factor, mais il y a quelqu’un d’autre de plus populaire. Par contre, les gens ne l’apprécient pas. Peut-être parce qu’elle a joué des vilains, alors les gens ne pensent pas à elle de manière positive, même si elle a le même niveau de popularité. Dans le monde publicitaire, on regarde des trucs comme ça: Comment les gens se sentent par rapport à telle personne? Comment la connaissent-ils?

 

Le personnage historique qui auraient le plus haut Q factor serait probablement Jésus Christ. Tout le monde le connaît et la plupart des gens pensent qu’il est une bonne personne, mais tu ne l’utiliserais pas nécessairement dans une publicité. Mais, qu’arriverait-il si tu le faisais? Il y a plusieurs années, j’ai fait un géant panneau d’affichage dans Baltimore qui disait “The King of the Jews for the King of Beers”, parce que le logo de Budweiser représente le roi des bières et Jésus est le roi des Juifs. C’était logique pour moi. Ils ont mis le panneau d’affichage en feu et tout le monde a paniqué. La radio chrétienne locale a même dit : “On devrait crucifier Ron English.”

 

Que penses-tu de la situation politique actuelle aux États-Unis?

Je suis encore en contact avec certaines personnes avec qui je suis allé à l’école dans le Midwest, des personnes qui sont restées là-bas et qui n’ont pas poursuivi leurs études. Ils ont une vie tellement différente et, en leur parlant, j’ai réalisé que Trump allait gagner.

 

J’essayais encore de démystifier ce qu’ils voyaient en lui et c’est là que je me suis souvenu qu’il avait fait de la lutte professionnelle. Je pense qu’ils ont cette idée dans leur tête que le bon gars c’est celui avec le bronzage, le grand blond. C’est très simpliste comme mentalité, c’est presque du niveau de l’école primaire, mais c’est encré dans leur cerveau.

 

J’ai décidé de prendre avantage du fait que je savais qu’il allait gagner. J’ai décidé de créer des jouets Trump. Par contre, ça prend un an à construire ce genre de truc et les gens avec qui je travaillais avaient peur rester pris avec une tonne de jouets dans leur entrepôt pour un président qui ne serait pas élu. J’ai dû continuer à marteler : “Il va vraiment gagner”.

Je voyage constamment et que je rencontre probablement plus de gens que la moyenne, mais alors que je rencontre beaucoup de gens très différents, je me rends compte qu’ils sont finalement fondamentalement similaires. Ces personnes, celles qui ont voté pour Trump, elles ne voyagent pas. Elles restent à un endroit et ont une vie très différente ignorant que ces deux mondes sont connectés.

 

Tu as créé cet univers dystopique, Delusionville, où tes personnages vivent dans une sorte de société macabre. Peux-tu nous en dire plus sur ce concept?

Les gens sont très protecteurs de leur propre groupe au point où tu ne peux pas parler de gros enjeux sans qu’ils ne se sentent attaqués. Je me suis alors demandé ce qui arriverait si je créais un monde fictif où il y a de la politique et des religions qui n’ont aucune corrélation directe avec des gens qui existent dans le monde réel. Cet univers est plutôt peuplé d’animaux. C’est un peu comme une fable.

 

Dans ce monde, le loup est le dernier à tomber. Ils se sont cognés la tête et ne comprenaient pas qu’ils étaient supposés dominer les autres animaux. Ils sont devenus les moins influents. Personne ne se souvient comment cette société a été créée. Au final, ce monde imaginaire était le seul moyen de parler de certaines idées sans choquer qui que ce soit.

 

Par contre, à un certain point, je ne pouvais pas ne pas avoir de personnage Trump dans ce monde. J’ai alors créé un éléphant orange que le peuple vénère parce qu’il est tombé du ciel et est venu à la vie. Mais, quelques personnes croient qu’il ruine leur vie.