Pour cette première visite de studio d’une longue série, nous sommes partis à la découverte de l’univers coloré de l’artiste montréalais Stikki Peaches. Entrer dans le studio d’un artiste c’est un peu comme entrer dans l’intimité de son esprit, on peut y découvrir ses inspirations, ses croquis, ses expérimentations, ses différentes idées en train de prendre forme. Entrer dans le studio de Stikki Peaches c’est entrer dans un joyeux bordel organisé : des pages de magazines arrachées au sol, de la peinture et des sharpies qui trainent dans les 4 coins de la pièce, du carton et des panneaux de bois décomposés ainsi qu’une dizaine d’oeuvres en cours de création appuyées contre les murs, sur fond de musique rock à la radio.

Ce “terrain de jeu créatif”, comme il aime l’appeler, est l’endroit où Stikki Peaches crée ses oeuvres que l’on retrouve aujourd’hui dans les plus grandes foires d’art internationales et sur les façades de villes du monde entier ou, plus récemment, dans les bureaux du siège social de Nike à New York. Chaque année, on retrouve également ses oeuvres au Festival MURAL, que ce soit en 2016 avec son géant “FUCK HATE” ou, lors de la dernière édition, avec ses tableaux présentés par la Galerie LeRoyer à la Foire d’Art MURAL.

Crédit photo : Halopigg

Utilisant pendant longtemps le slogan “What if Art Ruled the World?”, l’artiste anonyme, entouré d’une aura mystérieuse, invite le public à s’interroger sur la place et le pouvoir de l’art. Ceux qui découvrent ses oeuvres sont amenés à s’arrêter, se questionner et analyser les messages qui se cachent sur ses photos de figures mythiques de la pop-culture comme Elvis Presley, Kate Moss, James Dean, Jean-Michel Basquiat, Salvador Dali, Frida Kahlo, ou encore, Mozart.

Découvrez-en plus sur l’univers de Stikki Peaches avec l’entrevue, accompagnée de photos de son studio, ci-dessous :

Dis-nous, d’où te vient cet intérêt pour l’art et quand as-tu décidé d’en faire ton métier?

Je suis tombé dans le monde de l’art tout jeune. J’ai toujours dessiné, fait de la peinture, joué avec des crayons et les différents matériaux que j’avais à la maison. Puis, en commençant les études, je me suis vite rendu compte qu’être un artiste allait vraiment être compliqué! Mes parents étant tous les deux des créatifs dans le milieu de la mode, j’avais aussi beaucoup de sketchs, des tissus, des magazines de mode autour de moi. Je me suis donc naturellement orienté vers le design de mode pour canaliser ma créativité.

Quand as-tu décidé de changer de voie et de te consacrer à ton art?

En 2008, à la suite de problèmes personnels, je me suis concentré sur mes envies et mes ambitions. J’ai vite réalisé que c’était vraiment quelque chose que je voulais faire depuis tout petit. J’ai compris que j’étais ici aujourd’hui, mais qu’on ne sait jamais ce qu’il peut arriver demain, et j’ai tout arrêté!

J’ai donc pris du temps pour moi et je suis parti coller mes travaux dans les rues!
C’est vraiment en 2010 que tout ça a pris une autre ampleur pour moi. Je n’avais pas de plan de carrière, l’idée c’était juste de revenir à ce qui me rendait heureux dans la vie, d’être dans ma bulle de création et de sortir exposer mon univers dans la rue.

Des amis m’ont fait remarquer qu’ils voyaient mes oeuvres sur des blogues de New York et Los Angeles. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à recevoir une certaine notoriété.

Comment en es-tu arrivé à coller tes oeuvres dans la rue, as-tu un passé de graffeur?

J’en ai fait quand j’étais jeune, jusqu’à mes 15 ou 16 ans. C’était vraiment un moyen pour moi de me défouler, de m’amuser, mais ça apporte vite des problèmes!

Puis, quand je me suis lancé en tant qu’artiste, c’est revenu naturellement à moi. C’était le meilleur moyen d’être vu rapidement et d’atteindre un plus grand public. Il n’y avait pas vraiment d’autre façon pour moi de promouvoir mon travail. À l’époque, je n’utilisais pas Facebook et Instagram n’était pas encore l’outil qu’il est devenu aujourd’hui. Il n’y avait presque personne qui prenait des photos. C’était un mouvement très peu documenté.

Qui sont les artistes qui t’ont inspiré dans ta jeunesse ?

J’ai toujours aimé les oeuvres de Robert Rauschenberg. C’est un gars qui utilisait beaucoup d’éléments dans son travail, avec plusieurs couches superposées qui données une impression de 3D. J’ai toujours admiré cette création d’un monde complexe et simple en même temps sur un canevas.

Dans mon travail, toutes les couches ont une histoire à raconter. Par exemple, la couche finale est composée de tatouages, à travers lesquels j’intègre soit des messages personnels ou bien une critique du monde d’aujourd’hui, mais toujours avec un côté positif et satirique.

Ton travail fait souvent référence aux icônes de la pop culture et à l’univers du tatouage. Peux-tu nous en dire plus sur l’origine de ces inspirations ?

La mode, les icônes, et la pop-culture ont bercé mon enfance. Lorsque je suis dans ma zone de création, je vais chercher ce qui m’a marqué dans mes jeunes années, les références avec lesquelles j’ai grandi.

Plus tard, je me suis plongé dans la culture du tatouage. J’admire les styles de différentes régions : de la culture mexicaine aux tatouages de prisons russes. J’aime aussi le côté symbolique de cette culture et j’utilise ça comme un outil pour faire passer mes messages dans mes œuvres.

Tu utilises beaucoup de matériaux différents pour tes tableaux, peux-tu nous expliquer quel est le processus de création pour réaliser ces œuvres mix-média?

J’aime travailler avec plusieurs matériaux et différentes textures. J’utilise des matériaux de tous les jours, par exemple, les planches de bois, c’est du bois recyclé que je récupère dans la rue.

Récemment, j’ai également commencé à utiliser des tuiles de différents pays que je ramasse lors de mes voyages. Souvent faites à la main, chaque tuile raconte l’histoire du pays ou de la ville d’où elle vient, avec des symboles et des couleurs qui représentent l’identité des lieux. Lorsque que je les brise et les incorpore à mes œuvres, je reconstruis des morceaux de mur qui s’émiettent et dévoilent les images dans mes tableaux. C’est un style que je développe depuis un an et que je suis en train d’amener à un niveau supérieur pour mes prochaines œuvres.

Quelle est ton étape préférée dans ce processus?

Il y a beaucoup d’étapes pour faire une oeuvre, mais je dirais que lorsque j’ai décidé de la forme que va prendre la planche de bois, je passe ensuite à la phase de défoulement. Je prends une masse et je casse tout! Je tape dans le morceau de bois jusqu’à arriver à une forme qui se rapproche de ce que j’avais en tête. C’est définitivement ma partie préférée. Durant cet instant, je relâche tout mon stress, “sledgehammer” style!

Quel est ton point de vue par rapport aux collages que tu continues à faire illégalement dans la rue, en parallèle aux œuvres de galerie que tu fais?

En 2008, il n’y avait pas un chat dans la rue, la scène graffiti était très calme. Les rues de Montréal étaient comme un terrain de jeux où je pouvais jouer. Mais l’oeil des non initiés ne voyait que le côté illégal du street art et du graffiti.

Aujourd’hui, je peux faire un oeuvre sur la façade d’un immeuble et le lendemain je reçois un message du propriétaire qui me dit “MERCI”. L’éternelle question entre légal ou illégal, graffiti ou street art, amène souvent une réponse plus flou aujourd’hui. Les mentalités sont plus ouvertes et le Festival MURAL a aussi vraiment aidé à changer le regard sur le street art à Montréal ces dernières années.

Aujourd’hui, tu peux vivre de ton art avec tes œuvres de galerie et celles que tu fais dans les festivals à travers le monde. Arrêteras-tu un jour de passer des nuits dehors à coller tes œuvres?

Hier encore, je suis allé chercher des matériaux et, dans la voiture, je regardais les ruelles par la fenêtre. J’ai vu des beaux murs, des belles façades et je priais pour que l’été revienne vite!

J’ai une boîte, ici dans le studio, où je garde mes œuvres pliées, prêtes à être collées. Lorsque je pars en voyage ou lorsque l’envie me prends, j’en mets quelques-unes dans mon sac et je sors. C’est quelque chose que j’adore faire! J’y mets la même intensité que pour mes tableaux sauf qu’il n’y a pas de toiles. Je trouve un mur qui va me servir de canevas, avec des briques qui s’émiettent ou un vieux logo vintage. C’est quelque chose qui est tout aussi important que mes tableaux pour moi, voir même plus… Tant que je pourrais marcher, on continuera à voir mes travaux dans les rues!

Photo de couverture: Stikki Peaches avec son masque créé en collaboration @bespokenov